Joachim Montessuis : une voix, du cri et des drones!

Site web : http://www.autopoiese.org
Joachim Montessuis développe une pratique ouverte et contextuelle autour notamment de la voix, du son continu, du bruit et de la résonance depuis le début des années 90. Son travail se focalise aussi sur des processus conceptuels expérimentaux de mise en abîme de la question de l’observation et de la perception de la réalité à travers une approche non-duelle. Ses performances vocales explorent différents états de transes, à travers les potentialités extrêmes de l’amplification et des transformations électroniques du cri, du chant guttural et bruital, et plus récemment du texte lu. Il conçoit ses actions comme des poèmes-codes, processus dialogiques fertilisants.
Dans le cadre des mes recherches sur la poésie, j’ai eu l’occasion de faire un interview d’un artiste, performeur de la langue, collaborateur de longue date avec qui nous partageons une certaines façons de voir le cri, la poésie et les liens avec l’amplification sonore et l’informatique appliqué aux traitements temps-réel. Cet entretien n’est donc pas un regard de fan mais plutôt une relation de chercheur-artiste à un autre artiste en recherche sur le champ de sa pratique et des problématiques que celle-ci soulève. Il me semble important aujourd’hui de parler de poésie sonore au moment où on s’en intéresse le moins, surtout au niveau institutionnel et dans les sphères artistiques auxquelles elles peut appartenir. La poésie sonore, si elle ne travaille pas avec le texte d’une façon ou d’une autre (écriture ou lecture) n’intéresse que peu de monde dans le champ de la poésie : nous sommes un peu les rejetons d’un courant artistique qui est allé trop loin pour la grande majorité de la population française et de ses décideurs culturelles ou autres curateurs. Un domaine d’exploration qui remet en cause dans sa profondeur la langue de façon globale et cela est une impossibilité pour les défenseurs de la langue française, une langue enfermé dans sa propre mort, dans sa difficulté à se renouveler, mais aussi dans sa haine du changement et de l’intégration de « l’étranger » comme dirait Jacques Derrida. Nous sommes encore entrain de chérir les grands poètes du début 20eme siècle, on n’en sort plus, Antonin Artaud fait déjà office d’ovni, pas vraiment bien compris par le théâtre ou la poésie. Si nous devions parlé d’ Henri Chopin ou de François Dufrêne nous serions juste confronté à une énorme ignorance et à un dédain certain… Parlons donc de poésie sonore, de cris, de grandiloquence sonore et Joachim Montessuis.
A.B.
Joachim Montessuis · POETRY NOT MUSIC
Peut-tu nous expliquer quand commence tu tes recherches avec la voix et qu’est ce qui ta amené au cri?
J’ai grandi entouré de chants bouddhistes pendant mon enfance. Ensuite les chants des rituels Lilas des Gnawas au Maroc adolescent. Probablement cela m’a influencé.. Ensuite je suis arrivé en école d’art début des années 90.
Pourrais tu nous parler de ton rapport au cri? beaucoup de psychologue ou de spécialistes en phonétique nous parlent du cri comme de l’expression d’un état, d’une frustration ou d’une peur, Que penses tu de ce postulat? Et comment tu te situes vis à vis de ça dans ta pratique?
Avec le cri, tout le monde projette un peu son fantasme. C’est dommage je pense de trop cataloguer, avec le risque inacceptable de jeter le bébé avec l’eau du bain, ce qui est très courant encore. J’aime le monde de la voix et ses mystères, pour moi un cri est avant tout le son intense d’un sujet, une énergie interne qui sort intensément, bien au delà du psychologique. Qu’est ce qui amène un cri ? Est ce une conscience qui tente de s’ajuster sur ce plan de réalité? un cri d’éveil? ou juste un fou qui gueule ? les deux? et surtout QUI crie? nous observons nos cris, le cri des autres, etc.. nous séparons tout cela pour nous rassurer, je n’y crois plus ainsi, je m’intéresse aux différents systèmes de croyances justement.
Pour ma part c’était totalement vital au début, c’est sorti ainsi de manière très brutale, je ne m’y attendais pas. Autant cela a commencé par une sorte de cri primal et sa catharsis ou effectivement toutes les empreintes et émotions de l’enfance et l’adolescence avaient besoin de s’exprimer, autant cela s’est vite développé vers quelque chose de beaucoup plus canalisé, proche des cris d’arts martiaux, tout en gardant une porte ouverte vers le souffle rythmique et la transe, ce qui a soulevé alors une foule de questions théoriques extrêmement intéressantes. Je me marre toujours autant quand on me traite de névrosé quand on me voit crier, c’est tellement stupide que c’en est comique. C’est bien souvent ce que plein de gens pensent en voyant quelqu’un crier dans un micro, mais c’est évidemment bien trop superficiel pour être recevable.
DANSE DES FOUS + EROS3 + COSMOGON from autopoiese on Vimeo.
Comment as tu commencé à utiliser l’ordinateur pour transformer la voix? Comment c’est passé ce processus? as tu commencé par utiliser la voix et dans quels contextes? Poésie, musique, art sonore? Comment la machine à changé ton rapport à la voix?
J’ai tout d’abord commencé par un 4 pistes cassette tascam familial en 89, à bricoler des trucs bizarres de guitare, de bruits, de voix, de larsens, après deux années dans un groupe de rock. Puis ensuite parti aux beaux arts à Besançon. Je m’ennuyais à mourir, j’étais en 3è année et je faisais des peintures hyper minimales à l’encre de chine, de CHI projeté à partir du souffle rythmique et du cri, puis un ordi avec Pro Tools 4 pistes + DAT sont arrivés miraculeusement comme le messie début 93, j’ai immédiatement branché un micro et enregistré des cris spontanés. J’étais tout seul à travailler dessus pendant mon cursus. Ce sont les premiers enregistrements que j’ai fait avec et j’ai commencé tout de suite à monter avec ça, j’étais fasciné par les possibilités du montage virtuel, et je suis tout de suite allé vers des compositions très orientées vers la transe. Je me suis ruiné alors et me suis acheté un enregistreur DAT portable et un micro et j’ai fait pendant des années du field recording, j’ai utilisé toutes sortes de sons ainsi pour mes compos mais je m’en suis lassé assez vite. J’ai ensuite enregistré ma guitare électrique, à faire des sons de toutes sortes avec, j’ai mélangé un peu tout ça au début.
J’ai arrêté du jour au lendemain d’aller dans mon atelier – qui s’est fait à ma grande surprise lentement et intégralement piller par les autres étudiants en quelques semaines, ce qui m’a beaucoup appris sur la nature humaine à l’époque et a approfondi ma pratique – et j’utilise depuis ça des ordinateurs.
J’écoutais depuis des années Etant Donnés, Merzbow, Masonna, des compils d’audio art américaines, toutes sortes de musiques de traverses.. Michel Giroud vient écouter mes montages aux beaux arts, et très enthousiaste et très rapidement me fait écouter Dufrène et Chopin, et me connecte directement à ce dernier, que j’invite alors à performer dans mon lieu à Besançon, “le garage” à l’époque. On monte alors une asso avec Yvan Etienne et Giroud pour choper quelques subventions localement pour organiser des performances. Je m’étais déjà ruiné à faire venir Etant Donnés, je voulais inviter Vivenza qui était très cher pour moi, et il fallait que je trouve des solutions.
Donc je suis plutôt issu d’un milieu rock, noise, extra-musical puis plus devenu “poétique” en apparence, car la poésie était déjà présente depuis très longtemps, j’écrivais quelques textes depuis l’âge 11 ans, et je ne séparais pas l’expérience des mots et de la musique.
La machine m’a aidé à rentrer dans le son en profondeur, à travers le découpage particulaire de ma voix, à l’époque c’était le rêve pour moi d’avoir la possibilité de rentrer autant dans les détails et d’explorer la voix, qui reste le premier instrument, le plus direct.
Peux tu nous parler de la façon dont tu transformes / utilises la voix dans ta production sonore? Comment vois tu l’interaction entre les deux?
après pro tools les choses se sont précisées quand j’ai commencé à utiliser max/msp, puis j’ai voulu développer un capteur sans fil avec un seul capteur accéléromètre, le tout développé a V2 à Rotterdam en 2002, à priori ce projet fut pompé par Nintendo qui sorti 4 ans plus tard la Wiimote, un clone de notre capteur. Depuis j’utilise la wiimote, qui me permet d’incorporer le geste rythmique en rapport avec le souffle et le cri en performance, avec des décélérations et triturations en temps réel pour accentuer la dynamique ou l’inverse. C’est un rapport organique qui s’est développé, avec la technologie comme extension de soi, en fluidité. Fluidifier notre utilisation à l’ordinateur me parait très important dans ce type de performances.
Tu utilises souvent le delay et la reverb dans tes traitements, pourrais tu nous expliquer quel est ton rapport avec ces effets? Comment situe tu ta voix à travers ces transformations? En quoi ces effets sont emblématiques dans ta pratique?
je n’utilise pas de reverb, mais pour le delay il s’agit plus d’une mémoire tampon. C’est très simple, j’utilise un effet qui fait passer ma voix à l’envers en direct. Le mélange de la voix directe et de son inversion est pour moi un manière symbolique et aussi très concrète d’embrasser les contraires, d’entendre un son et son envers en simultané.
Pourrais tu nous parler de la façon dont tu construis tes pièces? est-ce totalement improvisé, as tu un rapport à la composition écrite ou cela en passe plutôt par la performance et la manipulation directe de la matière? Qu’est-ce que la construction musicale en crescendo représente dans ton travail? Quel en est la symbolique? Pourquoi le crescendo est-il si central dans ton approche?
Au début le crescendo représentait conceptuellement et pompeusement pour moi le chemin de la conscience au cours de la vie. Partir du souffle, comme une naissance, et évoluer tout au long de sa vie en prenant conscience progressivement, jusqu’à un état d’éveil. Vision très linéaire de la réalité et de la conscience… Ensuite cette “structure” est restée ainsi en performance car je me suis aperçu que c’était la meilleure manière pour moi de faire monter un mouvement et de concrètement pénétrer au cœur du son et de l’expérience bruitiste immersive, en préparant les oreilles et en leur faisant écouter tous les sons, les subtilités, et complexifier l’écoute et l’expérience pour mieux y plonger.
Pourrais tu nous expliquer quels liens entretien tu avec la transe? Qu’est-ce que la transe pour toi? comment vois tu la connexion avec la machine, le corps et ta voix?
La transe est il me semble avant tout un état personnel. Il peut se vivre collectivement, mais cet état est aussi conditionné par l’environnement social. Il s’agit de bien clarifier de quelle transe l’on parle, et de voir quel est le système de croyance derrière. Transe de dévotion, de possession? possession par qui, par quoi, pourquoi ? etc… Dans mon cas c’est une possession, certainement pas par un esprit “démoniaque”, idée primaire à mon sens. Je préfère parler de connexion à l’invisible, de pont, de médiumnité, de passeur. A qui, et à quoi on se connecte, et que passons nous dans ces états, voilà qui est
la machine est utilisé comme une extension de mon corps, elle est pratique mais pas indispensable, elle permet de faire une expérience dans un présent mutant. La voix c’est l’expression de l’âme humaine sur un plan vibratoire perceptible par l’ouïe. Une personne plus intuitive n’aura pas besoin d’entendre la voix de quelqu’un pour la percevoir… L’intensité, le bruit, le noise, c’est aussi parce que l’époque est abrutie, et qu’il a fallu des chocs vibratoires pour réveiller la conscience endormie par tant de folie collective. C’est le paradoxe, de rajouter une forme de folie pour réveiller la conscience…
La voix, la multiplication et l’altération de la voix font partie des éléments qui ouvrent à la transe, est-ce que la machine ne déshumanise pas t-elle le rapport à la transe? ne fait-elle pas justement disparaître ce corps dans lequel on s’incarne et avec lequel on joue dans la transe (intérieur extérieur, dehors, dedans)?
Vaste sujet à débattre longuement.
Pourrais tu, nous expliquer le rapport, pour toi, entre le cri, le noise et la physique quantique?
je pense que nous avons un impact créateur sur la réalité dont nous faisons l’expérience subjectivement, une branche de la physique quantique décrit ce processus, en phase avec une pléthore d’autres références. Ce n’est donc pas tant le cri ou le noise, mais plutôt le système de croyance ou idéologique à l’oeuvre derrière qui m’intéresse, et qui génère des perceptions et des expériences de vie très différentes d’une personne à l’autre. Dans mon cas, la voix est un vecteur, une manière directe de connecter et
Et le “noise” dans tout ça, c’est quoi pour toi? Qu’est-ce que ça représente dans ta pratique de la voix et de la musique électronique (utilisant de l’électronique)?
le “noise” ça ne représente ni veut dire grand chose pour moi, c’est l’expérience de celui qui active ce processus qui va m’intéresser. Il y a des concerts de noise qui ne me parlent pas plus que ce que leur contenu veut bien exprimer, c’est à dire pas grand chose d’autre qu’une certaine tautologie à l’oeuvre, du “vide versé dans du néant” comme disait Gurdjieff. Pourquoi pas.. au final n’y a t’il pas que du vide? L’énergie sort du vide… mais les énergies sont très différentes. Je m’intéresse surtout à l’accumulation de l’énergie et sa libération, je vois cela comme un processus de fertilisation de la réalité dont nous faisons l’expérience. Des sons qui s’accumulent cela donne évidemment des textures saturées, des bouquets de fréquences, l’ensemble des possibles, l’enivrement des sens, l’extase.. le sens de la musique pour moi. Je fais des performances comme des rituels de fertilité, je suis en ligne directe avec les lupercales romaines quelque part. cela fait pompeux dit ainsi mais c’est sincère. C’est un plaisir de se perdre et se retrouver au coeur des sons, du son, vibrer en communion. En d’autres termes pour moi le noise est synonyme de non-dualité, ne plus ressentir de séparation entre le corps et le son, par extension l’ensemble de la réalité.