FOCUS LABEL : Perpetual abjection, une vision renouvelée du HNW ?
Depuis sa création, le Harsh Noise Wall s’est imposé comme le genre musical radical par excellence, à l’image de son manifeste écrit par Vomir qui est resté depuis, la référence principale pour l’aborder : « pas d’idées, pas de changement, pas de développement, pas de divertissement, pas de remords », en somme, pas de compromis. Du bruit très fort et sur-saturé, sans développement, d’où le terme de « mur de bruit » et sa réputation d’anti-musique. Une œuvre sonore a t-elle besoin d’un développement pour mériter qu’on l’appelle musique ? En guise de proposition de réponse, se souvenir des premières peintures monochromes ayant été, en leurs temps, considérée comme non-peintures.
Perpetual abjection est un micro-label basé à Bangkok et centré autour de cette pratique sonore ultra-saturé. Le label thaïlandais nous propose une sorte de définition augmentée du HNW (bien loin d’une position de puristes) que l’on pourrait qualifier plus largement de musique statique, austère, monolithique. A partir de ce constat, Perpetual abjection nous donne à écouter des « murs » parfois monumentaux, parfois plus introspectifs, et nous prouvent qu’il existe dans cette pratique une infinité de couleurs et matières à explorer (renforçant ainsi le rattachement du HNW à la tradition électroacoustique). En comparant trois exemples historique de peintures monochromes on se rend compte qu’elles sont nées de réflexions, démarches et techniques très différentes : les tableaux « Outrenoir » de Pierre Soulages (toiles mono-pigmentaires mais porteuses d’infinis variations, irisations de la lumière), les tableaux bleus d’Yves Klein (au pigment si singulier, comme vibrant) et la « Composition suprématiste : carré blanc sur fond blanc » de Kasimir Malévitch (monochrome sans toutefois être mono-pigmentaire, tableau à la portée plus conceptuelle). A partir de cet exemple pictural, on pourrais imaginer l’existence d’une sorte de pensée monolithique de la musique, loin de toute forme de dogme ou manifeste, les œuvres étant seulement rattachées par leur forme générale en bloc, leur approche minimaliste, leur radicalité.
Ainsi, on peut trouver sur le label un disque du pionnier Vomir (« Repudiation », 2019) et son HNW « classique ». On y trouve aussi une musique réductionniste composé d’une multitude de craquements microscopiques, presque silencieuse, anecdotique : il s’agit de « Contact mic recording » par Rien, sortit en 2019. Comme si, en érigeant ce pont entre deux extrêmes, le vide et le plein, Perpetual abjection nous rappelle que le bruit et ce que nous appelons silence sont intimement liés : le HNW nous apparaît alors comme un silence assourdissant (tout n’étant qu’une question de palier).
R.P.