Le bateau chantant : Ellen Fullman & Theresa Wong
Nouvelle sortie du label Room40, très orienté drone et musique minimaliste, ce duo de cordes propose une rencontre entre Ellen Fullman qui travaille généralement sur de longues cordes résonnantes et Theresa Wong qui utilise le violoncelle et parfois sa voix entre composition et improvisation.
Si l’on peut se perdre, souvent d’ailleurs, dans la résonance abstraite des cordes, nous pouvons aussi bien différencier les deux instruments dont les frottements typiques de l’archet sur les cordes du violoncelle sont plutôt bien rendus. La basse continue ou drone se comporte ici comme une direction, mouvement devenu classique de la musique minimaliste et microtonal il est devenu un genre, une façon d’écrire la musique ou même d’improviser en soi.
Dans “part I” nous sommes face à une écriture du type dronique où nous sentons une grande cohésion entre les deux instruments, on est sur un terrain assuré, celui d’Ellen Fullman évidement. Mais “part II” fait place à une séparation dans les techniques de jeu, proposant une musique soudainement plus “musique contemporaine” avec des pizzicato typique d’instruments à cordes classiques (violon, violoncelle, contrebasse), ces petits claquement opérés sur les cordes ou des legato très rapides, aussi typiques d’une certaine forme d’utilisation des cordes. Il nous semble dans l’écoute que la musique se fait un peu moins certaine, les techniques de Wong sont très ancrées, et Fullman se détache dans le fond pour rejoindre timidement le violoncelle. On a le sentiment à l’écoute que l’improvisation n’arrive pas complètement à fonctionner, la musique se perd. C’est plutôt agréable en un sens. La composition semble n’avoir ni début ni fin : de la délicatesse de l’eau se joue la tentative exquise d’un effleurement.
“Part III” revient à la technique des cordes frottés et des drones pour la partie joué par Fullman, Wong place de nouveau son violoncelle en intersection, sous un certain angle et cela paraît inévitable, avec les longues cordes qu’il n’y ait pas toujours la possibilité de jouer de façon brève et rapide, il y a déjà inclus dans l’instrument une forme de temporalité, longue, qui est sûrement recherché et le violoncelle qui lui a été produit, construit pour un certain type de musique en lien avec cette temporalité, notamment la basse continue. Très rapidement dans ce morceau, Wong tente de rejoindre le drone de Fullman tout en proposant des fractures dans la répétition avec des glissements tapés évident sur les cordes. Il s’agit toujours ici d’une musique de cordes où deux musiciennes tentent de construire une musique avec chacune leur propre manière d’aborder la composition, la corde tendu (instrument) mais aussi le glissement entre le continu et la cassure à travers plusieurs improvisations. Cette façon oblique à jouer ensemble se met vraiment à bien fonctionner sur ce troisième morceau où l’on commence à sentir, au delà des échanges de bon procédé entre les deux artistes, une beauté musicale particulière, une sensibilité qui se fait jour dans la répétition et la différence.
A.B.